HAUTE-LAVIE DU MIRONTON

Le patronyme de mon père était à n’en pas douter : curieux.
Sa grand-mère lui rapportait son origine et son évolution à travers les siècles. Une chose sûre, la famille était restreinte à notre connaissance, notre nom n’était pas mondialement connu. L’orthographe n’avait pas évolué, étymologiquement parlant, car chacun faisait attention à sa retranscription sur les registres.
Ce nom créé de toute pièce par l’affrontement impromptu de deux têtes d’âne, aussi butées, l’une que l’autre. Mais dans l’art de la guerre, la paix se prépare.
Dans une auberge, l’un possédait du bœuf bouilli dans sa marmite et le second, les oignons et les cornichons. Les voilà tous les deux à négocier sur une nouvelle recette existante. Ameutant les foules, à vendre un mets aux villageois, contre une piécette de l’époque, vous repartiez avec une louche dans votre écuelle. D’un bœuf mironton ou d’un mironton de bœuf, deux petits escrocs de bas étage s’affrontaient à grands coups de cuillères en bois. Deux marmitons habiles recherchent la victoire dans une situation de poltronnerie.
Un jeune couple sans pécule, sans-allure, qui ne ressemblait pas à grand-chose avait trouvé dans cette recette leur dernière particule de noblesse piquée on ne sait où. L'histoire perdue, de l'homme ou la femme venue se croiser sur la frontière belge de l'époque. Lui ou elle importe de Bretagne un nom commençant par Haute ; de Haute lignée ; Hautecouverture, Hautefeuille, Hautlescoeurs, Hautchamp, Hautebassecour, Hautecloche, il ne nous restait que Haute. Mais le deuxième, issu de la Belgique, un nom perdu sur un chemin, un lieu-dit ; un lieu qui a de la vie. Il n'en fallait pas plus, de trouver un cœur qui bat sur un chemin. Avec un nom pareil ; « Haute-lavie » laissait dans l’air un autre nom potentiel dans le sens d’ôter la vie. Y avait-il quelques secrets et cadavres dans les armoires de nos aïeux, bisaïeuls ou trisaïeuls ?
Le potentiel d’un désordre, dans une longue expérience et réglé avec précision à redouter un danger, était prêt à tout nouvel envenimement. Trompant par l’adresse et la ruse d’une proposition honnête, d’un contrat, d’une alliance, la victoire l’emporta à un cornichon prêt.
Le jour dudit mariage, chacun accola son nom et rajouta leur méfait. Le représentant de la loi, un peu bêta, lui aussi, signa l’accord sur le registre d'état civil.
Je portais fièrement mon nom de famille :



Églantine, Eugénie, Léonie Haute-Lavie Du Mironton


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