PRINTEMPS

Depuis le 15 janvier, le début du rationnement des denrées alimentaires a commencé, trois jours sans viande, trois jours sans alcool, alternés avec trois jours sans pâtisseries et, en guise de couronne, il fait très froid. Trois jours de pluie, trois jours de soleil, la météo ne semble pas rationnée, froid ! Froid ! Froid !


Printemps

Les froids de l'hiver s'adoucissent. (Le pensionnat avait eu quelques bronchites et angines sur les plus jeunes, rien de trop grave.) La terre recouvre sa couleur originale, laissant fondre la blanche poudre. Le printemps s'annonce avec l’éclosion des bourgeons. Il est bon de s’exposer au soleil et de se chauffer le dos dans le manteau. La verdure reparaît avec des petites feuilles, les premières primevères et les crocus. La grande pelouse retrouve son rôle de cours de récréation. Les classes reprennent leurs activités habituelles, avec une nouvelle animation de sciences naturelles en extérieur. Toute une leçon sur le hanneton et le doryphore. Je ne retranscrirai pas le cours du hanneton et de ses trois premières années de vie et de sa lutte pour survivre. Je comprends surtout que la mairie nous sollicite à leurs ramassages manuellement. Ils apparaissent et prolifèrent rapidement. Ce qui devient vite un jeu et n'a rien de désintéressé ; si la classe est suspendue. Chaque boîte de conserve pleine d'insectes rapportée à la mairie confère une récompense. Comment motiver les troupes à cueillir les hannetons ? Ils mangent vos fraisiers, pas de fraises dans vos assiettes ! Ça marche, fraisiers, groseilliers, fruitiers, suivant notre taille ; nous sommes affectés aux dégâts les plus urgents : jardins, vergers... Dans les champs à labourer, nous ramassons les gros vers blancs derrière la charrue ; j’en dissimule quelques-uns dans mon tablier ; je joue le soir avec les poules et j’amuse les petits voisins en même temps ; elles sont friandes, elles se courent après pour se les voler. Je trouve cela plaisant. Quelques éclats de rire font plaisir à entendre. Je n’aime pas ramasser les doryphores. Je les trouve répugnants ces insectes aux élytres jaunes striés de bandes noires. Ils ressemblent à des prisonniers dodus. Une drôle de guerre humaine et animale, pourtant dans notre semi-campagne paisible, malgré la violence dont nous avons l'écho lointain, malgré la certitude d'un bouleversement qui se prépare, nous pressentons une irruption brutale comme un volcan.


◃ Déclaration 3 sept 1939
Dernière villégiature ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940, #doryphore, #printemps, ღ 008 le 23 mars 1940