NOUVELLES

Papa reçoit des lettres de ses frères. André prisonnier dans le nord de la France. Le 18 juin après une marche douloureuse, atteint de dysenterie et d’un abcès au pied, il est arrivé au stalag VII au nord de Munich, à Moosburg.
Didier était prisonnier, lui aussi, près de Longwy en champagne chez Moët et Chandon.
Paul, le petit frère de maman, comme il l'avait décidé, a rejoint la route de Périgueux où il pense retrouver ses camarades séminaristes.
Maman lit la lettre de Jean, quand la porte s’ouvre : Jean ! Quelle joie de le recevoir. Quelques jours s’écoulent, Jean nous quitte ; nouveau chagrin.
La maison semble vidée et l'angoisse s'infiltre un peu plus. Jean ne rentre pas directement à Noyon, il passe par la Normandie voir les jeunes Clénoria dont la famille reste sans nouvelles. Nous saurons par son nouveau courrier que tout va bien là-bas. Il a réussi à regagner Noyon sans encombre après son crochet en Normandie. Son presbytère est détruit par les bombardements. Les cartes militaires annoncent des soldats courageux, prêts à laisser leur vie sur les fronts de l’Est.
Nous sommes sans nouvelles de Marie-Christine, heureusement Ernestine nous en donne un peu systématiquement et involontairement en nous rassurant qu’elle va bien.
Le dimanche après-midi, nous nous retrouvons entre voisins, une promenade sur la plage le long de la côte. Nous profitons ainsi de tous et de nos souvenirs en temps de paix. J’apprécie la grand-mère Rifolardi avec un accent roulant l'Italie dans sa bouche. Elle nous fait rire. Je l'aide dans son repassage quand elle me parle de son pays natal. Il sent le soleil et la « pasta ».


◃ 22 juin
Mal-être ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #nouvelles, #1940, #andré, #paul, #didier, #jean, #marie-christine, #clénoria, #ernestine, #rifolardi, ღ 020 le 27 juin 1940


22 JUIN 1940

« T.S.F. - 22 juin 1940 - L’armistice franco-allemand est signé à Rethondes. »

Nous nous attendions à cette issue, mais l'annonce de l'armistice et l'occupation de la France sont un choc terrible. Pour la première fois, je vois pleurer papa amèrement dans la remise à bois ; la tête dans le bras, le dos tourné. Nous demeurons donc en zone occupée, dirigée par la Kommandantur où flotte le drapeau allemand, plus spécifiquement la Gestapo pour la police. Les occupants sont discrets ; ils ont reçu l'ordre d’être correct. La vie s'écoule sans grand changement, comme si nous avions des fantômes, « des verts de gris » ou encore des « doryphores » (les Allemands) autour de nous. Nos yeux ne se croisent pas, mais ils sont là. La peur rapproche de la foi, dit-on ! Tous les soirs, la certitude du danger se rapproche également.
Le dimanche, l'église s’emplie de fidèles. Depuis l'arrivée des Allemands, un groupe de soldats occupe le fond de l'église pour se joindre à nous, mais que chantent-ils ? Dieu fera-t-il la différence ? L'angoisse nous amène à une prière fervente et commune. Cependant, il y a quelques distorsions dans les paroles cantiques chantées avec tant de cœur. Pour les uns, la supplication vers Dieu sera « catholiques et Français toujours » mais, pour l'autre partie de l'assistance chantée avec le même cœur « catholique envahisseur et Allemand toujours ». Dieu s'y retrouvera. Les paroles montent toutes au ciel ! Malgré la mémoire de certaines atrocités commises par les Allemands envers la population civile pendant la guerre de 1914, nous nous trouvons devant des occupants très disciplinés qui ne ressemblent guère aux forcenés cruels dont nous avions l'idée.
Après les chocs que nous venons de vivre, les journées reprennent leurs cours presque atones ; s’il n'y avait pas l’inquiétude des absents ; l'humiliation de la refaite ; la colère de cette présence obsédante ; nous commençons aussi, à connaître les tracas de la vie matérielle et alimentaire ; la vie vaudrait-elle quelque chose ?
Je souhaite la paix à mes dix-sept ans.


◃ Paon
Nouvelles ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #armistice, #1940, #messe, #doryphores, ღ 019 le 22 juin 1940


PAON

Nous avons dû nous habituer aux tickets d'alimentation imposés par Paul Reynaud. À la chute du jour, nous devons observer le « black-out » depuis le 10 mai, c'est-à-dire pas de lumière, quelle qu'elle fût. Le noir total !
Ce soir, il y a du mouvement dans le ciel, il fait si bon. Nous papotons les filles et moi accoudées à la fenêtre de notre chambre. Alerte inattendue ! Un avion passe très bas au-dessus de la maison et lâche une bombe qui éclate derrière le mur du jardin. Un cri absolument strident jaillit, nous affolant d'abord. Nous réalisons que c'est le paon d’un voisin qui hurle sa terreur et provoque chez nous un rire nerveux inextinguible. La fenêtre fermée précipitamment, nous descendons quatre à quatre les marches, les petits dans les bras et tout le monde court se réfugier dans la grotte, les adultes ferment la fuite. Heureusement, la lune peu présente éclaire notre chemin.
Le calme revenu au petit matin, chacun regagne la maison contempler les dégâts sur le muret du jardin défleuri. Un trou béant.
Fatigué, nous allons nous coucher. Le sable de la nuit, frais et humide, nous a glacés.


◃ Croix-rouge
22 juin 1940 ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940, #paon, #alerte, #reynaud, ღ 018 le 19 juin 1940


CROIX-ROUGE

L'évacuation des Anglais se poursuit. Hier après-midi, parmi les bateaux en attente, un navire de la Croix-Rouge s’apprêtait à prendre le large avec des femmes et des enfants, que les pécheurs embarquaient. La bataille aérienne continuait et ce fut le drame. Un avion allemand piqua sur ce navire en principe neutre ; lâcha une bombe ; tomba et explosa dans la cheminée centrale du navire qui s'ouvrit en deux ; les deux moitiés dressées s’enfoncèrent dans la mer lentement et disparurent. Les pécheurs indemnes se dépêchèrent et tentèrent de repêcher les victimes, malgré leur courage ; beaucoup furent noyés, encollés par le mazout qui s'était répandu. Pendant plusieurs jours, les pécheurs englués rentrèrent au port, des cadavres de toutes les tailles accrochés en chapelet à leurs barques. Spectacle impressionnant de douleurs, de cauchemars, de marée noire. Quand je rentre à la maison à la fin de ma journée, je vois les cadavres échoués sur la plage. Je m’effondre dans les prières.
Ps : Un second bâtiment sera coulé de la même façon.


◃ Peur
Paon ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940, #Croix-rouge, #chapelet, ღ 017 le 17 juin 1940


PEUR

À la maison, notre vie suit son cours. Maman recouvre ses forces, elle ne se plaint jamais de sa fatigue, ni de ses douleurs, ni de ses angoisses. Elle attend avec impatience des nouvelles des siens, ses fils, amis et des Clénoria. Chacun essaie de s'occuper comme il peut, notre dernière activité : ramasser les légumes chez l'horticulteur du coin. Cela nous permet d'avoir un peu de légumes frais, très peu, surtout défraîchi, car tout part en principe pour l’armée Allemande. J’aime bien ramasser les pissenlits dans les fossés ou dans les prés, les meilleurs poussent dans les bouses de vache, un régal avec un morceau de lard et une pomme de terre.
Les avions allemands nous survolent de plus en plus souvent. Un Stuka a piqué sur notre petite rue déclenchant sa sirène pour nous affoler, sans tirer. Nous en sommes quittes pour une bonne frayeur.
Une famille, les Zakawsky se sont présentés désespérés à la porte, avec deux enfants en bas âge, ils fuient l'avancée allemande. Les Lefranc leur offrent l’hospitalité, ils sont tous les quatre affamés. Ils logeront avec nous au grenier.
Tout cela n’est toujours pas réjouissant ! Papa est nerveux et angoissé ; tous les deux, nous cherchons du travail. Est-ce que Jules dans son ciel, Léon sur le front, Louise, Germaine près d’Ernestine Clénoria sont-ils prisonniers, blessés, mort ou vont-ils bien ? Les jeunes Clénoria, étaient-ils arrivés chez leurs cousins ? Tant de questions ce jour. Le courrier s’achemine rapidement, maman écrit tous les deux jours, savoir si tout le monde était en sécurité. Le facteur rapporte les fameuses cartes postales militaires régulièrement. Je glisse parfois un petit mot à mes deux frères.
Enfin, pour papa, un premier élève se présente. Les parents sont des réfugiés Belges ; le père, un colosse cherche un professeur pour son fils et un cordonnier pour ses pieds ; il chausse du cinquante-six. Papa offre la solution pour son fils et moi pour ses pieds. Je l’accompagne chez mon nouvel ami le cordonnier monsieur Galifard.
D'autres enfants viennent peu à peu se joindre au premier élève. Je prospecte plusieurs cours et petites pensions réfugiées dans la région. Le couvent « Le bon pasteur » m’engage comme remplaçante. Je m’occuperai d'un groupe de petites filles dans une villa au Pouliguen.
J'admire l'océan devant cette plage de sable fin et si brillant. En face, un autre spectacle, Saint-Nazaire, son mouvement de navire prêt à partir. Un chenal sépare les plages de La Baule et du Pouliguen, un pont le surmonte. Monsieur l'Abbé m'a dégoté une bicyclette bleue. Je ne souffre pas des quelques kilomètres me séparant de la maison et du petit couvent. J'apprécie les balades le long de ces plages avec l’été ensoleillé et chaud. Des villas merveilleuses se nichent dans les bois de pins qui la bordent. L'angoisse s’empare de moi quand dans ma solitude avec les enfants, les combats aériens se déroulent au-dessus de nous dans un vacarme de ferraille et de mitrailleuses impressionnantes.


◃ Plage et grottes
Croix-Rouge ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940, #zakawsky, #cordonnier, #aubonpasteur, #labaule, #lepouliguen, ღ 016 le 13 juin 1940


PLAGE ET GROTTES

Nous errerons souvent sur la plage, pas de sieste au soleil ; chasse et pêche au goût du jour, la traque à tout. Notre nouvelle excursion nous guide plus loin dans les parties rocheuses, du côté Pouliguen, plus au-dessus du niveau de la mer. Des petites grottes ainsi formées par l'érosion s'ouvrent sur des petites plages privées, des escaliers montent raide et étroit vers de magnifiques villas.
Nous croisons un voisin heureux d’avoir de la visite, de ce côté de l’océan. Il exerce le métier de cordonnier. Dans la présentation, il nous demande d'où nous venons. Nous lui racontons la raison de notre sortie de ce côté et, à son tour, il nous fait découvrir une grotte plus profonde, elle sert de refuge en cas d'alerte. Après quelques leçons sur la géologie du site, il nous conseille de regarder sous le cabanon à bois. Nous ne tardons pas à rentrer et nous nous précipitons dans le fameux cabanon.
Effectivement, dissimulées sous une trappe en bois, des marches rejoignent une grotte. Un soulagement, une cachette… Un soupir. Le lendemain matin, nous apprenons le chemin dans les deux sens et marquons l'entrée de notre porte magique... Les fameux souterrains des Korrigans.
Les cryptes nous sont d'un très grand secours, lors de nos promenades quotidiennes à marée basse, du fait de la proximité de Saint-Nazaire, les bombardements augmentent. Quand le ciel s’agite bruyamment, et que nous n'avons pas le temps de regagner la maison, nous fonçons nous cacher dans les grottes, de véritables petites chapelles. Un apaisement pour nous, une angoisse pour maman, une bonne réprimande et pas de plage le lendemain. Maman en convient : c’était une bonne idée. Ouf !


◃ Villa
Peur ▹


Cet article a été posté dans *histoire, et taggé #1940, #eglantine, #cordonnier, #korrigans, #grotte, #plage, ღ 015 le 10 juin 1940


LA VILLA

La villa accolée aux marais salants Guérandais termine la côte, un petit chemin caillouteux enclot de son muret le jardin fleuri. Une maison basse en granit breton, des volets en bois, un joli petit chez-soi et sous l’horizon la mer. Un paysage apaisant et sonore sur fond d’océan.
Les filles Yvonne et Simone ont offert leur chambre à mes parents. Nous dormons dans le grenier, un vieux sommier en fer et un matelas sur le plancher font l'affaire. Pour moi, confortable et chaud, un édredon plus grand se frotte parterre, le tout garni de duvet de canard, d'oie et de puces. Les adultes occupent le rez-de-chaussée. La nuit fut horrible et la vengeance terrible. Le lendemain matin, couverte de piqûre, nous jetons dehors matelas et édredons pour la journée, le parquet saupoudré de terre de diatomée.
J’accompagne les filles, nous partons faire nos emplettes sur la plage. Une voix nous interpelle « toi là-bas, d’où viens-tu ? ». Nous nous retournons. Un abbé volumineux presse le pas pour nous rejoindre. Nous sommes coupables de ne pas posséder un accent régional. Suite aux présentations et aux raisons de mon élocution, il se dirige vers la maison. Un ami précieux et efficace. Monsieur l’Abbé nous fournit toute la literie nécessaire, propre et sans locataire. Maman obtient tout ce que nous pouvons avoir besoin. Nous sommes adoptés par les voisins entourant la villa.
Sur le front de mer, nous apercevons l’estuaire de Saint-Nazaire. De notre côté, sont cantonnées des troupes anglaises prêtes à être évacuées sur Saint-Nazaire et ensuite, vers l’Angleterre, abandonnant sur place énormément de matériel dont nous profitons. Les filles s’avèrent être d’excellentes pourvoyeuses de matériaux en tout genre, d’objets pratiques et variés qu’elles rapportent à la maison. J'hérite quant à moi de mon premier dictionnaire Royal Anglais. Beaucoup de mouvement aux environs de Saint-Nazaire, des Polonais et autres réfugiés tentent le tout pour le tout de gagner l’Angleterre. Réussiront-ils cette traversée périlleuse ? Ces derniers jours furent éprouvants par tous les drames que nous voyons ou imaginons.


◃ Retrouvailles
Plage et grottes ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940, #eglantine, "yvonne, #simone, #villa, #saint-Nazaire, #puces, ღ 014 le 07 juin 1940


RETROUVAILLES

Les propriétaires de la villa monsieur et madame Lefranc – amitié centrée sur l’hospitalité de Lourdes comme le précise papa – des bienfaiteurs proches de l’Atlantique, plusieurs fois, leur proposition de venir chez eux se faisait obligeant dans leur courrier.
Nous n’imaginons pas que ce conflit soit long et dramatique, nous resterons le temps nécessaire. Les retrouvailles furent émouvantes et récon­fortantes. Enfin, nous étions si heureux de nous retrouver malgré la guerre.
Je me suis précipitée vers le porche, j’avais aperçu les vélos de leurs filles qui rentraient de leur périple de pécheur avec du poisson frais. Cela requinquera maman, elle se reposera de son opération et de ses angoisses. Jean nous quitte déjà pour rejoindre son presbytère. La guerre a dispersé toute la famille. Pour combien de temps ?


◃ Cache-cache
Villa ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940,#villa, #lefranc, #retrouvaille, #jean, ღ 013 le 05 juin 1940


CACHE-CACHE

Le voyage continue, dans la journée, nous longeons un bois où sont dissimulés des tanks apparemment en fort bon état. Ils ne sont pas cachés puisque nous les discernons ! Qu'attendent-ils pour prendre la route dans le bon sens, vers l'envahisseur ? Plus loin, se dresse un barrage de boîtes de conserve de plusieurs rangées de toutes les tailles remplies de sable. Elles doivent arrêter l'avancée des troupes ennemies. Du sable dans les engrenages ? Bonne idée !
Voyage étonnamment protégé près d’Angers, pas rassurés, nous annulons notre halte à Nantes. C'est mieux de le penser ainsi, nous n'avons ni été bombardés, ni mitraillés. La chaleur devient caniculaire ; les fontaines se font rarement vides et il nous reste peu d’eau à boire. Notre chauffeur Jean emprunte les petites routes, nous ne sommes plus très loin, nous quittons la caravane humaine. Aucun problème de moteur, papa avait tout prévu, de l’huile et assez d’essence dans des jerricans camouflés dans le coffre. Essence payée à prix d’or. Maman fatigue d’être toujours assise. Nous n'avons guère le temps d'admirer le paysage ou la beauté des villes intactes encombrées de réfugiés.


◃ Frayeur
Retrouvailles ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940,#tank, #angers, #essence ღ012 le 01 juin 1940


FRAYEUR

Nouvel arrêt à Angers ce soir, chez un boucher, l'accueil est loin d’être ce que nous connaissons jusqu'ici. Autour de nous, un groupe hostile de passants, le nez enfoui dans leur écharpe, armé de raquette de tennis nous crie dessus : « Rentrez chez vous, vous n'avez rien à faire ici ! ». Finalement, le boucher nous ouvre sa porte. Ce commerçant se nomme monsieur Boudin. Monsieur Boudin referme les grilles de la boutique et inverse la petite pancarte indiquant les heures d’ouverture. Nous figeons debout à l’intérieur à un mètre du comptoir, pendant qu’il converse avec papa, mes yeux se perdent sur les murs. Je serre les dents pour ne pas rire. Avec son couperet, il assène de coups son billot de bois ; il n’y a pas de viande sur le plan de travail. Des esses, sans chair pendue ornent les murs. Je ne suis pas rassurée.
Nous passerons la nuit sur le carrelage de la boucherie. Je préférais le tapis. Je n'en garderai pas un bon souvenir ; du froid, du blanc et du rouge, en prononçant le mot boucher et des esses suspendus. Je ne me souviendrais peut-être pas du visage rubicond de monsieur Boudin, mais de son nom patronymique. À la boucherie Boudin tout est bon, même le patron, il fait le cochon.
Nous apprendrons par la suite que toutes nos maisons d’hôtes sont désormais détruites. Porterions-nous malheur à ceux qui nous viennent en aide ?



◃ Exode estival
Cache-cache ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1940,#angers, #boudin, #esse ღ011 le 30 mai 1940