TRÉPAS

Noël, un jour comme les autres, les croyants fêtent la naissance du Christ dans la simplicité.
La gendarmerie et le facteur sont devant la porte, apportant chacun une lettre noire.
« Mort pour la France »
Mon père perd sa joie de vivre. Cette fois, c’est une lettre de Marie-Christine, en date, du mois de décembre 1943. Elle nous décrit les circonstances du décès de Léon et de Germaine :

Cher papa, chère maman et tous

j’ai une bien triste nouvelle à vous annoncer. Il faut bien que je me confie à quelqu’un, ce que je ressens maintenant. Je tremble en trempant ma plume dans l’encrier. Je pleure depuis leur départ vers l’au-delà.
Germaine était venue me demander, si je pouvais garder mon neveu René, le temps de retrouver Léon, car il avait une permission. J’avais refusé, je travaillais. Je lui avais conseillé de demander à la grand-mère Clénoria. Ils s’étaient retrouvés, tous les trois quelques heures, avant de lui confier le bambin. C’est la grand-mère Ernestine qui m’a raconté ce qu’elle savait. Avant de laisser les amoureux, elle leur avait offert une tasse de chicorée. Il y a eu beaucoup de bombardements cette nuit-là. La sirène a retenti. Elle et l’enfant se sont réfugiés à la cave, elle a cherché du regard Léon et sa femme parmi la foule. Ernestine ne les a pas vus, elle a pensé, qu’ils étaient dans une autre cave. À la fin de l’alerte, couvert de poussière, tout le monde est remonté. La rue était en flamme, une proie facile avec toutes ces maisons en torchis. À l’hôpital, les blessés sont arrivés en même temps. Une ambulance est arrivée, sur un premier brancard, un homme nu, plein de sang. J’ai reconnu le corps déchiqueté de Léon. Il n’était pas beau à voir, mais vivait encore. Il m’a demandé comment allait Germaine. J’ai perdu mon sang-froid. Je me suis mise à hurler. En regardant derrière moi, j’ai vu Germaine, nue, sur un autre brancard. Je me suis précipitée sur elle. Elle agonisait, elle était toute rougie, elle m’a dit « René chez Mamie Clénoria, embrasse-le... », furent ses dernières paroles. Elle s’est éteinte. Tout est allé si vite. Je suis revenue vers Léon. Il répétait : « dit à maman... dit à maman... dit à maman... ». J’ai demandé au médecin de faire quelque chose. Qu’ils étaient ma famille. Il ne pouvait plus rien faire pour ma belle-sœur. Il se chargeait de Léon. Il est mort de ses blessures multiples, pendant l’opération. Il est parti si vite. Je ne lui ai pas dit que Germaine nous avait quittés aussi et que son fils était en sécurité chez les Clénoria. Il devait le savoir. Je ne sais pas si Léon parlait de maman, la sienne ou de Germaine ; maman de René.
Papa, maman, vos deux fils réunit auprès de la famille et de notre seigneur, une part de vos fils dans les deux merveilleux petits êtres René et Fulbert qui grandiront près de vous. Reste l’espoir de jours meilleurs. Ernestine pend soin de René comme s’il était l’un des siens. Germaine et Léon s’était donné rendez-vous dans une chambre particulière.
C’est l’hiver, je l’accuse du nez qui coule et de la toux, le chagrin de ne plus revoir mes frères.
Protégez-vous bien papa et maman. Je vous aime.
Tendresse fraternelle Sœur Églantine, Dieu te protège.
A bientôt tous.
Votre Marie-Christine

La lettre de Marie-Christine n’est pas rassurante. Louise et le petit Fulbert ne sont toujours pas arrivés. Le chagrin de maman s’amoindrit. Elle s’inquiète maintenant, du retard de Louise. Elle aimerait tant voir son fils dans son petit-fils. Un cinquième anniversaire qui approche, difficile à porter entre le sien et le départ de ses parents.
J’ai couru vers la porte d’entrée. Elle a claqué en sortant, couru calmer ma colère, droit devant, perdre mes larmes de deuil sur la route qui rejoint l’église.
Je priais et je réfléchissais à toutes ces injustices. À la guerre, à la mort.
Apaisée, je regagne l’abbaye, les yeux et le visage rougi.
Je suis appréhendée par des miliciens de service, désigné par Granville. Ils m’embarquent et m’incarcèrent pour vérification d’identité. Je n’ai aucun papier sur moi. À cet instant, je ne crois plus en Dieu. Je suis fouillée, interrogée et, allongée sur une table.
Me revoilà en prison et souillée. Sale et humiliée. Mon sort ne se fait pas attendre. Je suis transférée dans un convoi sans destination au départ. Ensuite, direction Rouen. Paris. Et le train…

◃ Foi de curé
nom du texte à droite ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1943, #trépas, #Marie-christine, #léon, #Germaine, #rouen, ღ088 le 25 décembre 1943