Nouveau printemps, nouvelle chasse, début des chaleurs, nous sommes de corvée aux ramassages du hanneton en profusion. Cette année, j’ai libéré les deux poules dans le jardin avec l’accord de papa, elles fouillent la terre toute la journée, seraient-elles efficaces ? À la nuit tombante, elles rentrent toutes seules dans le poulailler, je n’ai plus qu’à fermer la porte. Le partage est équitable, chacun sa pitance, cette fois encore nous ramenons notre butin à la mairie. Par escadrons, les hannetons attaquent la nature, nous travaillons la terre et ce sont les coléoptères qui en prennent la pâture. La municipalité appelle cela le « hannetonnage », entre l’ennemi allemand qui s’empare des territoires avec « le jeu des alliances » et le hanneton qui s’en prend à nos cultures, il ne nous restera rien. Il y a encore cette année le doryphore dans les pommes de terre. Le 23 juin 1941 est publié un décret signifiant une récolte journalière ; par tous les élèves, dirigés par leur maître et des délégués dans les champs de pommes de terre.
Joyeux anniversaire !
Où se trouve l’importance de vivre dans ces conditions ? Où trouverais-je la force ? Que des provocations politiques ? « Quand l’abcès est mûr, il faut le crever ! » : dit mon père. Papa dresse un tableau de récompense pour le ramassage des hannetons et doryphores, il est visible en mairie, à hauteur d’adultes. Chaque jour, les noms des dix meilleurs ramasseurs apparaissent avec les poids rapportés. Un livre sera offert au second et aux suivants ; des cahiers, une règle, des crayons à papier et un dictionnaire au vainqueur. Les noms des meilleurs auront l’honneur d’être cités lors de la kermesse annuelle au mois de juin. Il n’y a pas que les enfants devant le tableau : les parents et les Allemands ! Soyons sérieux, tous en campagne ! Laissons pitance aux corbeaux, corneilles et pies… Ils sont de la partie, partageons ensemble le territoire.
Nous sommes tous munis de carte de rationnement, concernant le sucre, la farine, la viande, le tabac, le gaz, le pétrole. À la campagne, nous nous organisons.

À Gournay, se créent de fortes amitiés. Peu à peu, se partagent discrètement opinions et réactions. La TSF s’écoute passionnément malgré le brouillage. Nous sommes écrasés de honte, effarés de la sénilité du maréchal. Des cartes de rationnement continuent d’être distribuées suivant l’âge et le besoin ; le marché noir s’intensifie. Avec les Pendrillons, nous avons réussi à dissimuler des moutons et quelques vaches, dans des granges ou dans des salles.
Je me promène la nuit et dors peu. J’appréhende une rencontre avec les Tabuteau. Quelques tracts clandestins commencent à paraître, « le réseau » et « musée de l’homme ». Les Juifs sont poursuivis, arrêtés ; de quelques métiers déjà interdits, d’autres s’allongent à la première liste. Je prie pour les Zakawsky.
À heure fixe de la journée, surtout à midi et le soir, nous sommes tous, l’oreille collée au poste, guettant les nouvelles. Le meuble où se vivent nos émotions : les bonnes nouvelles du front, les terreurs du combat et des bombardements, les messages et les sigles de la B.B.C. « radio Paris ment, radio Paris est allemand » ou encore « les Français parlent aux Français »… Suivent les messages codés envoyés d’Angleterre aux membres de la résistance. Notre participation est minime. La résistance latente naît silencieusement et peu à peu ; l’expression venue d’un refus de l’occupant ; la volonté de liberté qui peut se vivre autrement que dans l’appartenance directe à un groupe ; l’état d’esprit qui peut amener à la disponibilité pour certains services simples s’instaure utile et parfois dangereux. La peur est là, en même temps un courage discret. La France n’est pas que collaboration. Des groupes clandestins se forment en zone nord : « Défense de la France », « Le musée de l’homme », « O.C.M. » (organisation civile et militaire) et autres…
La Luftwaffe et la R.A.F. ravagent l’Angleterre par de violents bombardements.
Une rumeur court... certes, mais sait-on jamais, d’une rencontre entre Hitler et Darlan, elle aurait eu lieu à Beauvais. Dans une ville en ruine ?