MORT

Le jour se lève, un ciel bleu parsemé de nuages. Le froid s’échappe de mon corps qui tiédit, je ressens des cailloux dans le dos tout anesthésié. Je respire la fraîcheur de la liberté. Ma tête tournée vers le corps inerte d’Ernestine. Le mien semble réagir, revenir à la vie doucement. Comment Ernestine a-t-elle réussi ce coup ? Un léger souffle de vent me caresse… La Mort me rôde autour, me fait un clin d’œil et la Mort se dirige vers Ernestine. Mes yeux se ferment.
Je sors de ma léthargie une nouvelle fois. J’aperçois Louziou et le Comte de Macin qui me porte, l’un me tient les bras et l’autre les pieds. Mes yeux s’ouvrent et se ferment. Nous sommes plusieurs à être ramassées et charriées par un paysan jusqu’au cimetière, comme de la viande morte. Il y a plusieurs voitures garées. Je reconnais Marcel Pinçart, mon oncle Paul en soutane. Il donne des ordres. Revoilà mes deux complices, qui me portent jusque dans une voiture et me glissent entre les mains une bouteille de vin. Ils font la même chose avec Ernestine Clénoria. Paul démarre. Nous sommes faibles. Je n’arrive pas à parler. Je me rendors. La voiture s’arrête dans le noir. Deux personnes nous secouent un peu et nous font marcher dans une cour, toujours mes deux compères de Paris. J’essaie de parler, ma voix semble engourdie. J’appelle Louziou et le Comte de Macin, je les remercie mille fois en bégayant. J’apprends l’origine de notre évasion. Je suis heureuse et triste en même temps, mes camarades restées dans le train. Elles me croient morte. Madame Clénoria m’apprend que les Tabuteau ont un rôle dans notre arrestation en 1942. Explication du « tôt », un Tabuteau avait dû nous suivre à Paris. Il m’a vendue. Le lâche !
Notre voyage continue en charrette d’une ferme à l’autre. Une mère et sa fille, habillées en fermière maigrichonne, rendent service à l’église. Nous devons déposer un prêtre (mon oncle) dans le village suivant, sa soutane est une véritable aubaine. Il a tout organisé avec des papiers nous domiciliant dans chaque village d’arrêt. Il les détruit au fur et à mesure de notre avancée. Notre voyage se poursuit ainsi jusqu’à Gournay. Ernestine est heureuse de rentrée saine et sauve. Elle est reçue en héroïne par mes parents. Papa et maman m’accueillent dans les larmes. J’ai si faim. La soupe est délicieuse, succulente et douce.
Quand je cherchais mon oncle sur les quais, lui avait repéré Ernestine, il avait réussi à lui donner deux boulettes, apportées par monsieur de Méthylène à base de Belladone et autres drogues de sorcière. Je ne voulais pas en connaître plus sur cette médecine du Moyen Age.
Paul est reparti. Par ma faute, nous devons fuir. Mes parents sont en danger. Nous repartons à la Baule, avec pour moi de nouveaux faux papiers. Ernestine reste à Gournay. Jean ne sera pas notre conducteur attitré. Marie-Christine est à son chevet pour un pied cassé bêtement en descendant d’une charrette.


◃ le train
La fuite ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1943, #louziou, #comtedemacin, #Ernestine, #belladone, #Tabuteau, ღ 069 le 26 janvier 1943


LE TRAIN

Nous arrivons à la sinistre gare de Compiègne, complètement fermée aux voyageurs qui y sont consignés. Je suis bouleversée par tous ces visages, anxieux, atterrés, malades ou apitoyés, de curieux, parents, collés aux vitres sales, contemplant notre défilé qui se dirige vers la gare de marchandises. Cela me répugne de voir des étrangers indifférents à notre sort. Le long ruban de wagons nous attend déjà à quai. Il doit y en avoir environ seize, en comptant ceux réservés aux SS et à leur matériel.
Notre colonne se range le long du train, encadrée de SS et de chiens. La rupture d’un autre monde, la confrontation avec celui des hommes et des animaux impitoyables que je découvre.
Les wagons peuvent contenir cinquante personnes, nous serons quatre-vingts. De la paille sur le plancher comme les vaches, un grand baquet au milieu du wagon pour nos besoins. À chaque extrémité du véhicule, une ouverture fermée par des planches croisées, maintenues par du fil de fer barbelé. Il fait très froid.
L’embarquement commence avec les gueulantes des SS « Schneller ! Weiter ! (Plus vite ! Plus loin !) Les groupes se forment selon les connaissances et les amitiés. J’ai de la chance, je suis avec Geneviève, Mariette, Andrée et madame Clénoria. Nous sommes poussées, bousculées, tassées et les portes se verrouillent dans un bruit impressionnant de grincement de verrous et de barres. Le wagon est scellé. Par les fentes, nous apercevons les SS sur le quai et le monde civil a disparu.
Le convoi s’ébranle suite aux coups de sifflets. Celles près des lucarnes ont la chance de voir et respirer. D’autres poussées contre le fond du wagon sont écrasées contre les parois, un équilibre tournant se fera peu à peu, un peu agressif, mais sans crêpage de chignon, ni bagarre.
Très vite, nous avons mis en évidence le projet du plancher percé, mais le SS posté à chaque extrémité extérieure du wagon entend le bruit que nous faisons et les outils disparaissent prestement. D’ailleurs, les avis étaient partagés et certaines de mes camarades s’opposaient fortement au projet d’évasion, par peur des représailles. Geneviève m’avait dit : tu as deux frères et des oncles, donc tu dois rester, par prudence pour eux.
Comme d’autres, sur un bout de papier, j’avais inscrit mon nom et mon adresse et celle de Jean, les prévenant que nous partions pour l’Allemagne. Vers Soissons, nos petits papiers s’envolèrent à la merci de la bonne volonté des cheminots courageux. Les bonnes âmes les expédieraient aux adresses indiquées… Peut-être...
Le dos collé aux parois du wagon, nous ne pouvons que nous asseoir, glisser nos jambes les unes dans les autres ou rester debout ! Madame Clénoria me donne une petite boulette de pain noir en cachette. Elle avale la sienne la première et m’ordonne de faire la même chose. Elle s’éloigne de nous.
Je sens la fièvre monter, la difficulté à respirer. J’essaie de me rapprocher de la porte. Je m’écroule.
Il fait nuit, le train s’arrête, les scellés sautent, les portes du wagon se déverrouillent brutalement et deux officiers SS grimpent. L’ouverture de la porte allège la puanteur qui monte du bac. Ils sont munis de cravaches et de lanternes sourdes. Entassées dans une moitié de wagon, ils nous repoussent, une par une, vers l’extrémité opposée. Madame Clénoria est au sol et jetée dehors. Je n’ai aucune sensation, aucune réaction, mon cœur ne bat plus. Je suis jetée hors du train également. Seul, mon cerveau vit, j’entends et je ne respire plus. Mes paupières sont ouvertes, je vois tout, je suis paralysée à l’intérieur. Ma vessie se relâche, j’urine sans pouvoir me contrôler, j’ai froid et c’est chaud. Le train repart doucement, des gros phares sont braqués sur nous, une rafale de mitraillette se décharge au passage. Je ne sais pas si je suis touchée, je n’ai pas mal...


◃ Regards
Mort ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1943, #eglantine, #clénoria, #train, #boulette, ღ 068 le 24 janvier 1943


REGARDS

Fin janvier, début d’après-midi, nous sommes transférées de l’autre côté de la palissade qui nous sépare des Compiègnoises. Celles qui sont trop lentes sont poussées, battues ou jetées à terre. Nous sommes mises en rang par cinq. Nous apercevons des amies. De loin. Je ne sais pas. Si elle me reconnaît. Madame Clénoria me regarde également. Lui, rappelais-je quelqu’un ? Ma chevelure n’a plus rien d’une jolie fille, mon visage non plus. À l’appel alphabétique, certaines apprennent qu’elles vont être libérées. Le seront-elles vraiment ? Je suis heureuse de ne pas faire partie du lot des appelées et séparées de mes amies dont je préfère subir le sort commun. Le bruit court d’un départ pour l’Allemagne après-demain. Toutes, nous chantons la Marseillaise et crions « vive de Gaulle », « à bas les boches ! », le commandant furieux lance les chiens muselés, certaines femmes sont renversées et meurtries. Nous retournons à notre bloc.
Le lendemain, nous le quittons pour un autre baraquement, vide de châlits où nous sommes parquées. Nous devons préparer des colis contenants nos affaires personnelles : vêtements, objets inutiles, bijoux, qui seront expédiés à notre famille, nous affirme-t-on. Certaines de nos camarades doivent se délester de garde-robe confortable et de manteau de fourrure superbe. Tous ces ballots, entassés, dans un coin de la cour, passent de nos mains, dans celles des SS. Il y a bien longtemps que j’ai abandonné ma robe des Pyrénées rose : aux puces.
Durant l’après-midi, nous avons pu sortir du bloc et prudemment, nous essayons d’entrevoir, à travers les barbelés, un visage connu parmi ceux rodant à l’extérieur du camp. On nous photographie aussi, aucun sourire sur les lèvres, les regards fixent l’objectif. J’ai cherché avec angoisse mon oncle Jean avant le couvre-feu, en vain. La famille n’est peut-être pas au courant du passage du convoi de femmes en partance pour l’Allemagne et, que j’en fais partie. J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec madame Clénoria, rapidement.
La nuit s’écoule, tourmentée. Certaines brûlent des papiers dans les seaux au risque de provoquer un incendie. Je les ai mangés depuis longtemps. Nous dormons à même le sol, entassées, disons que nous somnolons. Quatre-heures du matin, réveil brutal, un café et la sortie du bloc, puis encore un appel. Nous ne sommes plus tout à fait neuf cents, presque un millier, venues de toutes les prisons de France, quelques compatriotes ont payé de leur vie.
Après un dernier contrôle de bagage, nous sommes mises en rangs cinq par cinq « fünf von fünf » et conduites, bien encadrées, à la porte du camp. La Croix-Rouge est présente. Chacune de nous reçoit un colis alimentaire. Les prisonniers levés, nous font une sorte de haie d’honneur, alors nous chantons la Marseillaise.
À la porte du camp, toutes sortes de moyens de locomotion disparates, nous attendent pour nous mener à la gare de Compiègne : camionnettes, autocars, charrettes. Ce sont des Français qui nous conduisent. Je monte dans une camionnette, le conducteur me glisse adroitement des outils. « Pour essayer de défoncer le plancher de votre wagon. Avant Bar-le-Duc, nous dit-il, une côte importante ralentira le train et vous pourrez vous glisser entre les roues du wagon. Autour de la voie, des maquisards qui connaissent le trajet seront prêts à vous aider dans votre évasion ».


◃ Clénoria
Le train ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1943,#eglantine, #clénoria, #locomotion, ღ 067 le 20 janvier 1943


CLÉNORIA

Nous voici arrivées… Livrées, serait le mot juste. Nous sommes plus de neuf cents femmes. Nous remontons la place qui mène à deux baraquements, séparés par une palissade, ; le premier, nous est destiné ; le second abrite des femmes arrivées avant nous, dénommées « les Compiègnoises ». Nous n’avons pas le droit de communiquer. Les présentations se font par des appels au-dessus de la palissade. J’apprends alors qu’une dame, Clénoria de Gournay, est de l’autre côté. L’amie de maman ?
Nous entrons dans notre bâtiment comme un troupeau de vaches, les SS nous crient dessus. Une envie de meugler me vient à l’esprit. Par un escalier assez large, nous pénétrons dans le bloc. Il nous conduit à un large couloir qui nous permet d’évoluer sans trop de gêne et dessert les dortoirs, dans lesquels sont rangés de chaque côté, une allée de châlits perpendiculaire aux murs sur deux étages. Une allée centrale sépare les deux rangées. C’est une ruée pour se trouver un gîte. L’opération n’est pas aisée vue l’étroitesse de l’espace qui sépare les deux châlits. Je ne quitte pas Mariette. Il faut ramper jusqu’au mur, pour pouvoir s’allonger sur sa paillasse. Le lendemain matin, ma voisine du dessus s’effondre sur moi avec son lit. Tant bien que mal, nous parvenons à retaper son domaine.
Au bout du couloir, les tinettes... Pourquoi donner tant d’importance aux « petits coins » ? Ils nous posaient tellement de problèmes, par leur taille disproportionnée, avec le nombre de « locataires ». Un bac fut installé au milieu du couloir, mais la nuit, il débordait très vite. Pour nous soulager, nous grimpions à l’extérieur des appuis de fenêtre, au risque d’être visées par les sentinelles de miradors.
Après notre installation, des amies se retrouvent et des groupes se forment. Geneviève est très entourée. Quant à moi, je suis tout à fait perdue dans cette foule où j’ai l’impression de n’être personne. Maudite timidité ! Peu à peu, l’atmosphère se détend, des amitiés très fortes se créent. Avec Mariette, on se tient les coudes.
Le lendemain, réveil à huit heures. C’est presque une grâce mâtinée ; café chaud et buvable, avec du pain. Après un appel extérieur, on nous donne à chacune une couverture grossière de coton brune. Il fait froid, mais beau, les couvertures servent de châles.
Nous apprenons, que nous roulerons vers l’Allemagne du Nord et y subir un froid plus vif. Certaines camarades courageuses, munies du nécessaire de couture, découpent leur couverture de richesse pour en faire des pantalons de fortune ou des vestes. Je préfère la couverture enveloppante.
Nous tentons d’apprendre « le chant des marais » si beau et si poignant composé par des prisonniers politiques. Les paroles tragiques sont trop perturbantes pour certaines et nous renonçons à ce chant…. Je murmure : « Libre enfin, O ma patrie, je dirai « tu es à moi » » …
Dans le couloir, au milieu de nos va-et-vient, à l’écart, erre, une femme misérable, solitaire, syphilitique et contagieuse ; elle a les jambes rongées de plaies, non soignées et suppurantes. Elle n’attire pas la proximité.
Le baraquement occupé par les hommes suit le nôtre. C’est aussi le coin des tinettes qui devient le lieu des rendez-vous fugitifs. Le meilleur moment des dialogues, la corvée des épluchures, il faut ruser pour concilier les échanges et la position dangereuse des sentinelles.
L’appel du soir a lieu vers dix-sept heures trente, le couvre-feu « Ausgangssperre » à vingt-et-une heure marque la fin de sortie des blocs. Les puissants phares des miradors trahiraient, le moindre rebelle. On nous à rapportées que la veille de notre arrivée, des prisonniers, ayant tenté de s’évader, furent égorgés par les chiens au niveau des barbelés.


◃ Souvenirs
Regards ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #clénoria, #camp, #lechantdesmarais, ღ 066 le 19 janvier 1943


SOUVENIRS

Nous voici à Compiègne, nous remontons la route de Paris.
La ville est belle de mes souvenirs d’enfants ; quand nos vacances se passaient chez mes grands-parents. La rue de Paris, le centre de nos joies avec mes frères et ma sœur. Le matin encore en chemise de nuit, nous regardions défiler devant nos fenêtres les Spahis marocains à cheval. Les sabots des chevaux caracolaient sur les vieux pavés de la rue, montés par des cavaliers si beaux et fiers, avec leur cape rouge, leur chechia et leur sabre. Quelle prestance !
L’après-midi, nous assistions au champ de manœuvres à Royallieu, avec ma grand-mère, aux fantasias (simulacre de combat). Impressionnants et prestigieux, tandis que ma grand-mère tricotait, nous en prenions plein les yeux.
Nous passons devant sa maison, enfin ce qu’il en reste... Nous continuons vers le champ de manœuvres de mon enfance, le terrain est défiguré par les baraquements de ce camp destiné aux prisonniers des Allemands. Le rêve s’évanouit ! Les Spahis ont quitté Compiègne.
La maison disparut, l’atelier de grand-père aussi, il nous autorisait à le regarder travailler. Menuisier, ébéniste, marqueteur également, quand il caressait le bois de sa main ferme, nous savions qu’un objet merveilleux serait façonné. Nous nous grisions de l’odeur du bois pendant la construction, de la colle et du vernis qui embaumaient son atelier. Images d’enfance volatilisées sous l’acharnement des bombes ennemies.


◃ Compiègne
Clénoria ▹

Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1943, #eglantine, #guerre, #camp, #compiègne, #spahis, #grand-mère, #grand-père, #menuisier, #ébéniste, #marqueteur, ღ 065 le 17 janvier 1943


AU DEVANT DE LA VIE

Cette chanson était répandue dans les Auberges de Jeunesse et lors des randonnées des AJistes. Elle devient LA chanson du Front Populaire, chant de lutte, reprise dans les rassemblements populaires, lors des journées de grève de juin, des rencontres de jeunes. Partout sur les routes ou dans les trains, parmi les cyclistes, les campeurs, les familles, cette chanson était fredonnée partout et pendant la guerre.

Elle fut écrite en 1932 par Dmitri Chostakovitch pour le film soviétique « Contre-Plan » de Youtkévitch et Ermler. Les paroles françaises sont de Jeanne Perret (1935);


Couplet
Ma blonde, entends-tu dans la ville
Siffler les fabriques et les trains ?
Allons au-devant de la bise
Allons au-devant du matin

Refrain
Debout, ma blonde! chantons au vent !
Debout, amis !
Il va vers le soleil levant
Notre pays !

Refrain

Couplet
La joie te réveille, ma blonde
Allons nous unir à ce chœur
Marchons vers la gloire et le monde
Marchons au-devant du bonheur.

Refrain

Couplet
Et nous saluerons la brigade
Et nous sourirons aux amis
Mettons, en commun, camarades
Nos plans, nos travaux, nos soucis

Refrain

Couplet
Dans leur triomphante allégresse
Les jeunes s’élancent en chantant
Bientôt une nouvelle jeunesse
Viendra au-devant de nos rangs

Refrain

Couplet
Amis, l’univers nous envie
Nos cœurs sont plus clairs que le jour
Allons au-devant de la vie
Allons au-devant de l’amour.

◃ Compiègne

Cet article a été posté dans *chanson, *histoire et taggé #chanson, #allonsaudevantdelavie, #aubergesdejeunesse, #front populaire, #eglantine, #1943, #1932, #1935, #lucarne ღ 091 le 06 janvier 1943


COMPIÈGNE

Pierrette n’est pas revenue. Début janvier, des rumeurs du départ des politiques commencent à courir.
15 janvier 1943, on vient nous chercher, Mariette, Geneviève et moi, dans notre « nid » et celui de nos autres camarades de droit commun qui, elles, ne partent pas en Allemagne. Séparation difficile pour chacune de nous. Une réelle amitié est née, malgré la disparité de nos origines.
Toutes les partantes sont rassemblées, d’abord, dans la galerie du rez-de-chaussée, pour être distribuées le soir, dans des cellules, où nous serons censées dormir. Ensemble, avec Geneviève et Mariette, nous nous serrons. Je fais la connaissance d’Andrée Busson. À Fresnes, nos cellules se faisaient contiguës. La bible et les petits gâteaux venaient de sa part. Andrée et sa maman avaient été arrêtées ensemble. La maman avait été libérée plus tôt. Toutes deux faisaient partie du même mouvement de résistance « défense de la France ».
L’abbé Steiner, manifestement bouleversé, nous donne sa bénédiction. Il ne connaît pas notre destination. Le lendemain, tôt, nous sortons de nos cellules rapidement. Peut-on parler de réveil après la nuit où nous avons tellement été entassées ? Un café, une mise en rang et le départ. En quittant la galerie, nous entonnons une dernière Marseillaise vibrante et chaleureuse. Se joignent les voix de nos camarades restées dans les cellules des étages supérieurs ; nous sommes embarquées dans des cars qui attendent dans la cour de la prison. L’abbé Steiner revient nous donner un adieu définitif et une absolution générale. Nous allons dans le camp 122 de Royallieu à Compiègne, véritable plaque tournante pour les convois de prisonniers destinés à l’Allemagne et venant de toutes les prisons de France.
Le soleil brille, nous chantons beaucoup. Sortir de prison, nous semble merveilleux, mais… nous ignorons totalement ce qu’est un camp ! Nos voix cachent l’angoisse derrière ce chant communiste, plein de vie, symbolique aussi :
« Ma blonde, entends-tu dans la ville siffler les sirènes et les trains, allons au-devant de la bise, allons au-devant du matin !
Debout, amis, chantons en chœur, il va vers le soleil levant notre pays ».


◃ Pierrette
Souvenirs ▹


Au devant de la vie(la chanson) ▹

Cet article a été posté dans *histoire et taggé #eglantine, #1943, #pierrette, #allonsaudevantdelavie,#busson, #steiner, # ღ 064 le 05 janvier 1943