AVIATION 2

Je secoure une nouvelle forteresse volante descendue dans les environs. Cette fois deux parachutistes (un Anglais et un Américain) tombés à Senantes, un couple de fermiers les accueille et les cache depuis trois ou quatre jours. Jugeant leur présence dangereuse, ils souhaiteraient les faire disparaître.
Monsieur Tarbouif me demande de l’accompagner et nous partons à la nuit tombée en calèche, jusqu’à la ferme. Les aviateurs se dissimulent dans la paille de la grange. L’un deux a la tête blessée par son casque, enfoncé jusqu’aux yeux au moment de la chute, difficile de l’en débarrasser. Nous repartons très vite, laissant les fermiers soulagés. La nuit se rafraîchit, l’un des garçons me met sa veste sur les épaules. Délicate attention ! Le comte jette un œil de travers au garçon. Je leur donnerais la trentaine passée comme le comte. Rapidement, le cheval nous amène à la ferme du Demanet où nous finirons la nuit. Les trois hommes dorment dans la prairie derrière la ferme. Moi, dans l’étable, surprises de ma présence, les deux bovines me regardent étrangères. Au lever du jour, je réveille les dormeurs dans la brume. Les jours suivants, nous les logeons dans une cabane à outils, abandonnée dans les champs.
Dans la journée, je retourne à Gournay embrasser la maisonnée et chercher des vêtements pour mes compagnons.
Une semaine passe à la demande de monsieur le comte, je lui rends visite à l’heure du thé. Je lui remet les nouveaux papiers d’identité. En repartant, nous feignons une dispute, les buissons dissimulent peut-être des yeux et des oreilles indiscrètes.
Le départ est prévu dans deux jours. Nous prendrons le train de Paris à six heures du matin. La route est longue. Le départ difficile. Mes deux compagnons refusent de démarrer avant d’avoir achevé leur cigarette. Ils veulent également recevoir l’absolution d’un prêtre, mais c’est impossible. Est-ce une fuite devant la peur de ce qui les attend ? Véritable course contre la montre avec le plus jeune qui perd sans cesse son pantalon. De plus, ils se disputent constamment, débattant longuement pour savoir qu’elles étaient les meilleures escadrilles : les Anglaises ou les Américaines. Soudain, nous croisons les Tabuteau.
Que font-ils sur cette route de campagne si tôt ? Auraient-ils une attirance spéciale pour le château du Demanet ? Serions-nous eux et moi destinés à nous croiser dans des circonstances ou à des heures anormales ? Nous avons bien couru ; le train arrive. Au portillon, nous attendons le chef de gare. Une fois installée, je recommande aux garçons de bouger de leur siège que si je quitte ma place. Le train démarre. Pontoise ; ruée de voyageur.
Une dame âgée se trouve sans place assise, instinctivement, je lui cède ma place, oubliant, mes deux compagnons. Comme deux flèches mes deux garçons se ruent pour sauter sur le quai. Je les rattrape et leur chuchote en anglais de rester tranquille, et c’est ensemble, Dieu merci, que nous parviendrons à Paris. Un guide nous attend, il nous précède et nous mène chez une vieille Abbesse qui va les recueillir. Ils regagnent l’Angleterre, par les camps d’aviation clandestins du nord de la France.
Entre temps, la classe continue, pendant mes absences, madame Logan ou madame Clément me remplace, le docteur Gouspin a eu la géniale idée de me trouver une maladie pulmonaire. Mes escapades en dehors de mes cours sont excusées, je dois garder la chambre. L’idée m’est venue d’utiliser le matériel scolaire pour signifier les missions que j’aurai à accomplir : copies ou cahiers seront les aviateurs en détresse, les dates fixées pour aller les chercher seront décalées. Ce code de professeur masque parfaitement les informations ou les instructions que je reçois.


◃ Libéré
Revolver ▹


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LIBÉRÉ

Enfin une bonne nouvelle, le 22 juin, jour de mon anniversaire, Pierre Laval annonce à la radio « qu’un prisonnier sera relâché, pour trois partants pour l’Allemagne » et narre des âneries honteusement.
La libération de mon oncle André, l’homme de confiance du stalag VII jure sur la bible ; ne jamais avoir demandé sa libération. Il est maigre. Il voulait échanger sa place avec un père de famille. Les Allemands ont refusé et jeté mon oncle à l’extérieur du camp.
Il s’est pendu, portant le poids de la culpabilité et de l’injustice. Mon père s’effondre, mon oncle si chrétien. Toute ma famille paternelle disparaît pendant l’occupation Allemande. Mon père se retrouve fils unique.
Nous apprenons également le décès de Gilbert Chevalier, fusillé en représailles d’un attentat contre la kommandantur.
Que de morts encore ! Et de prières non exaucées !


◃ Aviation
Aviation 2 ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1942, #libéré, #anniversaire, #andré, #gilbertchevalier, #pendu, ღ 45 le 22 juin 1942


AVIATION

Une forteresse volante a été abattue au Mothois près de Gournay. Boutange me charge de récupérer l’aviateur tombé dans la rivière, derrière la ferme. L’homme se cache sous la racine d’un arbre, dans le cours d’eau. Les camions allemands patrouillent sur la route. John Patersson est chef de son équipage. Je dois le ramener à la maison, mais il me faut l’accord de papa et maman. Petite distance (cinq kilomètres environ). À la maison, papa émet de la réticence. Maman intervient « et si c’était ton fils Jules ou Léon ? » Accordé ! Je repars. Sur le chemin, une surprise : les Tabuteau, les dénonciateurs du quartier ! Nous reviendrons cette nuit. Boutange nous accompagne un peu dans les prairies, puis nous lâche au moulin du domaine. John demeurera huit jours chez nous.
Déprimé, je le conduis à l’herboristerie, enfermé dans la chambre de Pierrot Molanche, il pleure des heures, ne se consolant pas d’avoir perdu son appareil et son équipage. Je n’entends plus parler de lui, ma collaboration s’arrête là.


◃ Mars
Libéré ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1942, #aviation, #boutange, #johnpatersson, #tabuteau, #pierrotmolanche ღ 44 le 02 juin 1942


MARS

Un raid aérien britannique au-dessus de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt comptabilise six-cent-vingt-trois morts et mille-cinq-cents blessés.
Nous sommes anéantis. Cinq personnes de notre famille ont péri, Didier dans l’usine où il travaille. Deux de mes tantes Anne-marie et Bernadette qui hébergeaient sa femme Martine et son fils Michel ont quitté ce monde, dans le sillage des avions des dommages collatéraux ; comme ils se murmurent. L’appartement a été pulvérisé et toute la famille décimée.
Je cherche un cloître, une vierge de pitié aux yeux rougis, pâle de douleur dans ma prière du soir, besoin de me ressourcer à la cathédrale, mystérieuse comme la forêt. Je revis mes souvenirs de famille vivante et unie. Adieu famille.
Marie-Christine part à Paris en renfort.


◃ Comte Tardouif
Aviation ▹


Cet article a été posté dans *histoire et taggé #1942, #mars, #renaultboulognebillancourt, #didier, #annemarie, #bernadette, #martine, #michel, #mariechristine, #paris, ღ 43 le 03 mars 1942