ET L’HISTOIRE VA DURER


Votre passé dans ce couvent à choyer vos petites princesses à les couvrir d’amour, de savoir-vivre, de connaissances, vous donnait une raison d’exister. Vous les aviez regardées, impuissante, devant l’évidence de l’enlèvement, les bras au ciel, sans pouvoir les atteindre. Vos filles firent de ce jour de malheur, un jour somme toute de bonheur. En quittant le couvent, elles devenaient libres et prisonnières encore. Votre chagrin et vos prières, des lunes sans sommeil à pleurer vos chairs ôtées, jusqu’à votre mort. Ces regards suppliants et ses petites mains tendues, dans ses bras accrocheurs autour de leurs petites tailles, les jambes battantes contre des cuisses puissantes. Votre impuissance devant le mal. Vos cauchemars, vous ont poursuivi encore quelques années, avant de vous laisser sombrer dans le désespoir de revoir vos bâtardes. Vos petites joies à travers la vie de vos enfants, flottaient dans les allées des jardins. Les années se succédaient après chaque chute de feuilles végétales et les printemps verts s’envolaient avec les pétales des fleurs blanches, jusqu’à ce jour funeste. Vos rejetons, d’une dizaine d’années à peine, vos anges maigrichons, se sont débattus dans un tumulte de bras et de jambes, de pieds, de mains et de bouche. Les fantômes des trois-mâts pourpres qui jaillissaient sur l’horizon ce matin-là, apportaient la terreur une seconde fois.
Ils étaient repartis dans un futur, là où le présent s’était perdu. Sur l’horizon rougeoyant, se découpait l’ombre des trois-mâts, à l’intérieur planaient la peur et le désir d’aventure.
Sur le rivage, la solitude envahissait tout le paysage alentour.
Vos filles quittaient votre giron pour un temps indéterminé. Dans leurs esprits, une vague vous prit entre ses bras et vous emporta dans l’océan, comme il noie le soleil le soir.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, sans existence, sans patience, sans espoir…
Éliane implorait le vent de lui rapporter ses filles avec la prochaine marée, mais les vagues sur le sable déposaient que des algues et des crustacés morts. Où trouver le courage et la force de vivre dans le cœur d’une mère meurtrie ? Chaque jour que Dieu fit l’océan calme, entre un ciel d’espoir et un coucher de soleil chaleureux, une femme priait à genoux sur le sable avant la nuit, des étincelles sur les flots, les pas errants sur le sable mouillé. Dans un sens, puis dans l’autre, le grand océan était là-devant elle. Il l’invitait à danser avec chaque vague en effleurant ses pieds. Elle s’était réfugiée dans un cercle de galet bien lisse fleuri de coquillage mort. De temps en temps, l’océan s’amusait à la recouvrir. Son bruit blanc finissait par l’endormir, Éliane attendait patiemment le moment où elle sentirait sa chaleur, où l’océan viendrait poser ses lèvres salées sur les siennes. Il finissait toujours par défaire son lit de sable aux bordures de coquillages et de galets. Éliane le quittait chaque soir et il l’attendait chaque matin, de temps à autre l’océan se mettait en colère. Et puis un jour, Éliane s’offrit à lui et ne revint plus. L’océan l’emporta avec son chagrin…

*
Les souvenirs ancrés des batailles, entre les pages du livre de Danielle, des feuilles pliées en quatre, gardées précieusement cette histoire. Je ne peux pas me mettre à la place de cette femme, m’imaginer perdre…une page. Sortons de ce cauchemar. Tournons la feuille sombre du passé.

*
Pensée des Âmes Virtuelles

« L’océan se forme de toutes ces perles de larme que les femmes laissent tomber sur la grève, laissant les tourments au temps de former les marées. »



◃ Le sort s'acharne


Cet article a été posté dans *poésie *image et taggé #océan, #enfant,#pirate, #trois-mats, ღ 193 le 15 août 1961